Affaire Madoff
Onze mois après la découverte de la fraude commise au sein de l’entité US-américaine Bernard L. Madoff Investment Securities (« BMIS »), la CSSF tient à faire le point sur son intervention auprès des entités luxembourgeoises concernées par l’ « affaire Madoff ». La CSSF est intervenue, en accord avec ses missions légales, à trois niveaux :
- En décembre 2008, la CSSF a d’abord analysé les effets potentiels de l’affaire sur la stabilité financière des entreprises surveillées et du secteur financier dans son ensemble (cf. les communiqués de la CSSF du 22 décembre 2008, du 2 janvier 2009 et du 23 janvier 2009).
- Dans le cadre de sa surveillance prudentielle, la CSSF a en même temps ouvert des enquêtes auprès des entités luxembourgeoises surveillées concernées par l’affaire Madoff. Dans ses enquêtes, la CSSF a contrôlé de manière prioritaire, la qualité de l’organisation administrative générale et du contrôle interne et externe des entités surveillées en vue de garantir de manière générale la protection de tous les investisseurs en relation d’affaires avec ces entités. Il s’agissait, en tant qu’autorité de surveillance prudentielle, de déterminer les violations éventuelles par les différents intervenants et prestataires de services de leurs obligations légales respectives. C’est ainsi que la CSSF a notamment mené des enquêtes en relation avec les différents prestataires de services (cf. les communiqués de la CSSF du 25 février et du 27 mai 2009). Dans ce contexte, la CSSF n’a pas limité ses enquêtes aux entités ayant exercé une fonction pour le compte des OPC directement impactés par l’affaire Madoff à la date de l’éclatement de ladite affaire, mais a étendu son enquête aux entités impliquées au niveau de la structure de ces OPC depuis leur création.
- En outre, les membres des organes d’administration, de gestion et de surveillance ainsi que les actionnaires ou associés d’une entité surveillée doivent justifier à tout moment de leur honorabilité professionnelle vis-à-vis de la CSSF. Ainsi, la CSSF analyse notamment si les dirigeants ou membres des conseils d’administration de toutes les entités surveillées impliquées ont personnellement justifié de leur honorabilité professionnelle dans l’exercice de leurs fonctions. Une pluralité de procédures a été ouverte dans ce contexte. Ces enquêtes relatives à des personnes physiques tombent sous le secret professionnel de la CSSF et leur résultat ne sera en principe pas communiqué au public.
En vertu des principes généraux de droit luxembourgeois, la CSSF, en tant qu’autorité publique de surveillance, a donc pris toutes les mesures administratives qui s’imposaient envers les entités surveillées concernées et leurs dirigeants, alors que des conclusions finales en matière de responsabilité contractuelle entre parties privées ne pourront être définitivement arrêtées que par un tribunal luxembourgeois compétent. En accord avec le principe de la séparation des pouvoirs, la compétence pour se prononcer sur la responsabilité civile d’une entité envers des investisseurs individuels (y compris la faute, le dommage subi et le lien causal) est en effet exclusivement du ressort du pouvoir judiciaire et donc des tribunaux de la juridiction civile et commerciale.
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Dans cette perspective, les investigations de la CSSF en matière de surveillance prudentielle se sont poursuivies en relation avec HSBC Securities Services (Luxembourg) S.A. (« HSSL ») en vue d’établir la nature et le degré des responsabilités de cette entité dans le contexte du fonds HERALD (Lux), constitué le 18 février 2008 et inscrit avec effet au 29 février 2008 sur la liste officielle des organismes de placement collectif conformément à l’article 94 (1) de la loi du 20 décembre 2002. A cet égard, il est à noter que HSSL a exercé les fonctions de banque dépositaire et d’administration centrale de HERALD (Lux). Il doit être ajouté que Bank Medici AG, un établissement de crédit de droit autrichien auquel la Finanzmarktaufsicht (FMA), l’autorité de surveillance autrichienne, a retiré son agrément le 28 mai 2009, avait été désignée en tant que promoteur de HERALD (Lux) et gestionnaire des investissements de ce dernier. La société d’investissement HERALD (Lux) s’est qualifiée de société d’investissement dite autogérée du fait qu’elle n’a pas désigné de société de gestion au sens de l’article 27 de la loi du 20 décembre 2002. Elle est en liquidation judiciaire depuis le 2 avril 2009 (cf. le communiqué de la CSSF du 15 avril 2009).
Dans le cadre de son enquête sur les différentes responsabilités concernant HERALD (Lux), la CSSF a complété ses premières investigations le 9 mars 2009 par un contrôle sur place auprès de HSSL. Suite à l’analyse des documents et informations reçus en continu de HSSL, la CSSF a, en date du 17 novembre 2009, pris la décision suivante à l’égard de HSSL :
« En accord avec l’article 59 de la Loi du 5 avril 1993 et en vertu de la Circulaire IML 91/75 ainsi que de la Loi du 20 décembre 2002, la Commission, tout en notant des éléments positifs et satisfaisants au niveau des procédures déjà en place, enjoint HSSL, endéans un délai de 3 mois, de continuer à revoir et compléter les règles internes nécessaires et formulaires y relatifs pour accomplir l’ensemble des tâches liées à sa fonction de banque dépositaire d’OPC luxembourgeois conformément à la Loi du 20 décembre 2002 et à la Circulaire IML 91/75, plus particulièrement en ce qui concerne (i) sa tâche de requérir toutes les réponses spécifiques et nécessaires auprès des OPC luxembourgeois pour lesquels HSSL agit en qualité de banque dépositaire, en cas d’interrogations quant à la structure réellement mise en place et sur le rôle joué éventuellement en pratique par des sousdépositaires ou autres correspondants à différents niveaux de cette structure et (ii) son obligation de « due diligence » dans le contexte du groupe HSBC, en donnant des renseignements précis notamment sur les tâches effectuées par HSSL à Luxembourg ou celles effectuées par une autre entité du groupe. De plus, la Commission enjoint HSSL, endéans un délai de 3 mois, de continuer à revoir et, le cas échéant, de compléter au cas par cas le processus de liquidation des transactions et de justifier plus particulièrement les procédures et moyens en place permettant de procéder à une réconciliation indépendante et objective des titres déposés auprès de sous-dépositaires ou d’autres correspondants.
La Commission précise que HSSL devra veiller à concourir à la réparation des dommages en cas de manquements aux obligations contractuelles d’une banque dépositaire soumise aux dispositions du droit luxembourgeois, sans préjudice d’une éventuelle décision judiciaire en la matière. La Commission relève en effet qu’il appartient exclusivement aux cours et tribunaux de l’ordre judiciaire d’établir s’il existe une faute civile dans le chef de HSSL qui l’obligerait à contribuer, avec toute autre personne déclarée responsable, à la réparation des dommages. »
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Finalement, concernant les trois sociétés d’investissement de droit luxembourgeois touchées par l’affaire Madoff et aujourd’hui en liquidation judiciaire (les « Sicav » ; cf. les communiqués de la CSSF du 15 avril 2009 et du 13 mai 2009), la CSSF tient à rappeler et à préciser encore les points suivants :
- Lors de la procédure d’agrément, la CSSF approuve les documents constitutifs d’un OPC, c’est-à-dire: le prospectus et les statuts, respectivement les règlements de gestion relatifs à l’OPC concerné. Selon la loi du 20 décembre 2002 concernant les organismes de placement collectif, le prospectus de vente d’un OPC doit comporter toutes les informations nécessaires pour que l’investisseur puisse juger de l’investissement qui lui est proposé en toute connaissance de cause. Des documents internes, qui ne règlent que des modalités pratiques entre professionnels (tels que des « operating memoranda »), doivent être conformes au contenu du prospectus agréé et publié et ne peuvent y déroger. Ces documents internes ne sont pas soumis à la CSSF.
- Les documents soumis à la CSSF dans le cadre des procédures d’agrément respectives des trois Sicav,1 sur base desquels elles ont été inscrites sur la liste officielle des OPC, ne comportaient aucune référence ni à l’identité de BMIS ni surtout au cumul des fonctions exercées de fait par une entité. Depuis le lancement des différentes Sicav jusqu’à l’éclatement de l’affaire Madoff en décembre 2008, la CSSF n’a jamais été informée de manière transparente, par les professionnels concernés, sur la structure réellement mise en place et sur le rôle joué en pratique par BMIS à différents niveaux de cette structure.
1 Pour la sicav Luxembourg Investment Fund, au sein de laquelle plusieurs compartiments ont été créés, cela vaut aussi bien pour la procédure d’agrément de la sicav que pour celle concernant la création du compartiment concerné, US Equity Plus, qui est intervenue plus tard. Au moment de leur inscription sur la liste officielle des OPC, Luxalpha Sicav et Herald (Lux) n’avaient qu’un seul compartiment et jusqu’à leur mise en liquidation judiciaire aucun nouveau compartiment n’a été créé au sein de ces structures.