Communiqué

Communiqué concernant les organismes à but non lucratif et la lutte contre le financement du terrorisme

Au Luxembourg, les évaluations verticales des risques (concernant les personnes morales et les constructions juridiques1 d’une part, et surtout concernant le financement du terrorisme2 (« FT ») d’autre part), publiées par le ministère de la Justice en 2022, appréhendent le niveau d’exposition au risque FT de certains « organismes à but non lucratif » (« OBNL ») comme étant élevé sur base des caractéristiques et activités de ces OBNL. En ce qui concerne les OBNL luxembourgeois qui pourraient être à risque (associations sans but lucratif et fondations telles que visées par la nouvelle loi du 7 août 2023 sur les associations sans but lucratif et les fondations), il est fait référence surtout à des OBNL qui mènent des projets de développement et humanitaires à l’étranger.

Pour rappel, l’évaluation verticale des risques de FT précitée discerne une double exposition au risque de FT de ces OBNL :

« […] par les dons qu’ils reçoivent et par la destination de leurs fonds.

  • En matière de dons, il arrive que des terroristes ou des organisations terroristes recourent à de faux prétextes pour collecter des fonds. Dans la plupart des cas, les donateurs pensent que l’argent sera utilisé pour financer de véritables activités caritatives. Il arrive aussi qu’ils soient conscients de la véritable destination de leurs fonds et utilisent le prétexte humanitaire pour ne pas éveiller de soupçons. Cette typologie n’a pas encore été identifiée au Luxembourg, mais la vulnérabilité existe ;
  • Quant à la destination des fonds, ces derniers peuvent, de manière délibérée ou par inadvertance, être versés par des OBNL actifs dans des projets à l’étranger (avec ou sans statut d’ONGD [organisme non-gouvernemental de développement]) à des terroristes. Ici encore, cette typologie n’a pas encore été identifiée au Luxembourg, mais la vulnérabilité existe.

Bien que ces typologies n’aient pas été détectées au Luxembourg, ce sous-secteur reste très vulnérable compte tenu de la localisation de leurs activités »3, notamment à proximité ou dans des zones de conflit.

 

En raison du contexte géopolitique international actuel (cf. e.g. le communiqué LBC/FT de la CSSF du 25 octobre 20234), il est devenu encore plus risqué que les réseaux de financement illégaux exploitent les faiblesses de certains OBNL, en particulier le fait qu’ils ne sont pas directement assujettis aux obligations prévues par les législations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (« LBC/FT »).

Il en résulte que la mise en place d’une approche basée sur les risques adéquate devrait amener les institutions financières de cibler ces OBNL présentant un risque plus élevé et de leur appliquer les mesures de mitigation appropriées, en veillant à ne pas stigmatiser tous les OBNL.

Au niveau international, il convient de soulever que le Groupe d’Action Financière (« GAFI ») rapporte aussi depuis de nombreuses années que les groupes terroristes peuvent parvenir à abuser ou détourner les fonds de certains OBNL pour financer leurs activités ou la promotion de celles-ci, voire que des OBNL soutiennent activement des organisations ou activités terroristes.

En revanche, le GAFI rappelle et souligne, lui aussi, que les OBNL ne présentent pas tous le même risque d’abus à des fins de FT5. Dès lors, en vue d’éviter que les institutions financières ne leur appliquent des mesures disproportionnées, il est impératif qu’ils fassent l’objet d’une analyse concrète, fondée sur les risques. Le GAFI met en évidence les pratiques à éviter pour préserver l’intégrité du secteur non lucratif et souligne également les conséquences indésirables et dommageables de la mise en oeuvre de mesures de mitigation inappropriées envers les OBNL (par ex. : considérer tous les OBNL comme présentant un risque élevé en matière de FT).  Le « de-risking », tel que défini par le GAFI, caractérise dans ce cas le phénomène par lequel des institutions financières mettraient fin ou restreindraient leurs relations avec des OBNL afin d’éviter les risques, plutôt que de les gérer6. L’application des mesures d’atténuation des risques ne doit pas porter atteinte à l’inclusion financière des OBNL, qui en conséquence pourraient alors se tourner vers des services financiers non réglementés et non surveillés, augmentant davantage le risque d’abus à des fins de FT.

Le GAFI a donc adopté, durant la réunion plénière d’octobre 2023, des amendements à la recommandation 8 concernant les OBNL, et ce afin d’apporter un cadre de protection renforcée contre les abus potentiels à des fins de FT7. En vue de tenir compte de ces amendements, le GAFI a aussi mis à jour son guide des meilleures pratiques pour la lutte contre l’abus d’OBNL (qui inclut également des exemples de mauvaises pratiques)8. En parallèle, la méthodologie d’évaluation du GAFI a aussi été adaptée, tel que décidé lors de la réunion plénière de février 2024, afin de refléter ces changements récents pour les prochaines évaluations du GAFI sous le 5e cycle.

Le GAFI propose ainsi un ensemble de bonnes pratiques destinées notamment à concilier la lutte contre le FT et l’accès des OBNL aux services financiers. Nous souhaitons rendre attentifs au fait que le GAFI invite en ce sens les institutions financières, lorsqu’elles ont identifié un risque de FT propre à un OBNL et ses activités, à déterminer s’il existe des garanties et mesures appropriées qui leur permettent de le gérer. Le GAFI recommande également aux institutions financières de collaborer plus étroitement avec le secteur non lucratif pour ouvrir des discussions sur les attentes et problématiques rencontrées par chacun. De tels échanges offrent la possibilité aux institutions financières d’exprimer clairement leurs exigences à l’égard des OBNL.

En ce sens, il convient également de rappeler qu’au niveau européen, l’Autorité bancaire européenne (« ABE ») a mis à jour ses lignes de conduite afin d’intégrer les facteurs que les institutions financières doivent prendre en considération lorsqu’elles évaluent les risques de blanchiment et de FT liés à une relation d’affaires avec des OBNL. Nous renvoyons le lecteur vers la circulaire CSSF 23/8429 adoptant ces lignes de conduite (EBA/GL/2023/03).

Finalement, la combinaison de ces facteurs et guidances précitées, permet de dresser une liste non-exhaustive d’indicateurs que les institutions financières pourraient considérer afin de déterminer si elles sont confrontées à une situation de risque FT par l’entremise abusive d’un OBNL :

Indicateurs liés aux méthodes/fréquences de financement :

  • difficultés à tracer l’origine ou la destination des fonds ;
  • dons majoritairement en espèces ;
  • augmentation inexpliquée des dépôts et de l’activité transactionnelle ;
  • retraits importants et inhabituels (notamment suite à un refus de procéder à un virement vers l’étranger) ;
  • transactions contenant des termes/symboles associés à des idéologies violentes, racistes et/ou terroristes.

Facteurs géographiques :

  • envoi des fonds à plusieurs entités dans un/des pays à haut risque ;
  • nomination d’un tiers comme mandataire des comptes qui envoie des fonds à des pays à haut risque (notamment suite à une campagne de collecte de fonds) ;
  • absence de donateurs nationaux et présence de donateurs situés dans des pays à haut risque ;
  • transmission de ressources ou activités dans une zone connue pour la présence substantielle de terroristes ;
  • liens avec des zones de conflit ou des régions voisines (par ex. : transferts vers une association locale censée poursuivre les missions de l’OBNL) ;
  • transferts de fonds depuis/vers des entités opérant dans des zones connues pour des activités terroristes.

Indicateurs liés à la réputation :

  • existence d’informations fiables indiquant un lien avec des tiers soutenant des activités terroristes ou y participant ;
  • réception de fonds provenant d’entités soupçonnées de soutenir des activités terroristes ;
  • réception de fonds provenant de terroristes présumés [ou de « personnes listées » i.e. des personnes reprises sur des listes de sanctions financières en matière de FT10.

Indicateurs liés au contrôle :

  • manque d’informations sur l’objectif, et le cas échéant les bénéficiaires finaux des activités, de l’OBNL ;
  • incapacité à rendre des comptes quant à l’utilisation finale de l’ensemble des ressources ; absence de statut juridique (en vertu du droit national ou d’une autre juridiction).

Autres indicateurs :

  • disparition de la présence en ligne et/ou sur les réseaux sociaux de l’OBNL (notamment suite au recours au financement participatif (« crowdfunding« ) afin de solliciter des dons) ;
  • utilisation de documents falsifiés ou contradictoires ;
  • partage des locaux avec une organisation soupçonnée de soutenir des activités terroristes ; etc.

Les indicateurs géographiques permettent de mettre en évidence les situations potentielles dans lesquelles les OBNL sont abusés à des fins de FT en aval (détournement des fonds), alors que les autres indicateurs caractérisent plutôt les situations éventuelles dans lesquelles les OBNL participent au FT et sont établis en amont dans ce but précis.

En conclusion, sur base de leur approche basée sur les risques, les institutions financières appliquent des mesures de mitigation appropriées et proportionnées aux OBNL qu’elles ont identifiés comme étant exposés au risque de FT, tout en veillant à ne pas stigmatiser l’ensemble des acteurs du secteur, et en se gardant de pratiquer un « de-risking » qui porterait atteinte à l’inclusion financière des OBNL, et à la transparence.

1 MinJus_ ML/TF vertical risk assessment on legal persons and legal arrangements 2022 (VRA LP LA) – Ministry of Justice // The Luxembourg Government (gouvernement.lu)

2 Luxembourg finalises its first vertical risk assessment on terrorist financing – government.lu (gouvernement.lu)

3 Luxembourg finalises its first vertical risk assessment on terrorist financing – government.lu (gouvernement.lu)

4 Communiqué LBC/FT (uniquement en anglais) – CSSF

5 OBNL : « désigne les personnes morales, constructions juridiques ou organisations qui à titre principal sont impliquées dans la collecte et la distribution de fonds à des fins caritatives, religieuses, culturelles, éducatives, sociales ou confraternelles ou dans d’autres types de « bonnes œuvres » »

6 Financial inclusion and NPO issues (fatf-gafi.org)

7 FATF Recommendations (fatf-gafi.org)

8 Guide des bonnes pratiques du GAFI :  https://www.fatf-gafi.org/content/dam/fatf-gafi/guidance/BPP-Combating-TF-Abuse-NPO-R8.pdf.coredownload.inline.pdf et Communiqué du GAFI : Best Practices on Combating the Abuse of Non-Profit Organisations (fatf-gafi.org)

9 Circulaire CSSF 23/842 concernant l’adoption des Orientations révisées par l’EBA sur les facteurs de risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme – complément de la circulaire CSSF 21/782 qui introduit une nouvelle annexe aux guidances consolidées portant sur les clients qui sont des OBNL : Circulaire CSSF 23_842

10 Dans ce dernier cas, il est rappelé aux institutions financières leurs obligations strictes découlant de la Loi du 19 décembre 2020 relative à la mise en œuvre de mesures restrictives en matière financière et du Règlement grand-ducal du 14 novembre 2022 portant précision de la loi du 19 décembre 2020 relative à la mise en œuvre de mesures restrictives en matière financière. Nous rappelons également que le régime des sanctions financières ne suit pas une approche basée sur les risques et qu’à ce titre, des règles strictes sont applicables, notamment l’identification, le gel et l’obligation de déclaration au ministère des Finances, sans délai.